Traits en Savoie
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Chevaux de fer contre chevaux de chair. Les chevaux de halage (15).

D 6 avril 2016     H 21:00     A Traitgenevois     C 0 messages


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Si la halage par les animaux représente un progrès par rapport au halage par les humains, il n’en reste pas moins entaché de problèmes qui vont entrainer sa disparition progressive.
Citons les principaux : des coûts qui se révèlent élevés, une vitesse lente, une source d’encombrement aux écluses et enfin une dépendance du marinier vis à vis des charretiers ou compagnies de halage.

La question des coûts du halage a souvent été débattue avec des conclusions parfois contradictoires.
Ces coûts résultent de facteurs multiples.
Qu’il y ait de nombreux bateaux sur une voie d’eau et une offre en halage importante et les prix chutent du fait même de la concurrence. Mais si l’offre de halage est faible, les prix vont s’envoler.
D’autres paramètres vont influer sur les prix demandés pour le halage comme, par exemple, le prix du fourrage, le prix des cordages mais aussi la fréquence à laquelle une courbe revient à vide, l’organisation du halage, la longueur des biefs, les immobilisations...
Il faut garder à l’esprit que, vu de côté du marinier, le coût du transport va également dépendre de la rapidité de son déplacement. Que le halage vienne à manquer, quelle qu’en soit la raison, et ses frais vont augmenter (frais de bouche entre autres).
De son côté, le longs jours doit gagner sa vie et sera tenté, si l’occasion se présente, de majorer ses prix.
D’une manière générale nous dit CH. Labrousse "... ce n’est jamais ou presque jamais la batellerie qui a manqué au halage mais la plupart du temps ce sont les animaux qui manquent à la batellerie" (1)
Pour les agriculteurs pratiquant le halage occasionnel, les travaux des champs primaient sur le halage qu’ils abandonnaient alors. Les charretiers pouvaient être en nombre insuffisant et parfois, la pénurie était provoquée en vue d’augmenter le prix demandé.
De nouveau, Il faut considérer de manière différente le coût du halage sur les canaux et celui sur les rivières.
Comme nous l’avons déjà vu, le halage sur les rivières imposait de recourir à des équipages importants et les chevaux de renfort étaient la règle pour négocier les passages délicats.
Hubert Labrouche a étudié les coûts occasionnés par le passage du Pertuis de Poses sur la Seine.
Il relève que "Les droits perçus au pertuis de Poses de 1817 à 1820 étaient de l’ordre de 60 000 francs en moyenne annuelle... Les budgets communaux de Poses, commune de 1200 à 1300 habitants atteignaient respectivement 381 francs en 1811 et 1034 francs en 1826. Ainsi les droits perçus au pertuis représentaient 173 fois le budget communal de 1811 et 64 fois celui de 1826."
Il précise que, en 1827, le prix moyen du transport à la remonte pour les marchandises ordinaires est de 14f75 la tonne, moyenne qui tombera à 4 à 5 francs le tonne avec les bateaux à vapeur.(2)

Cependant, nous dit encore Hubert Labrouche, les coûts réels supportés par les mariniers sont difficiles à évaluer avec justesse, une économie souterraine biaisant probablement les estimations. De l’argent devait circuler de la main à la main entre mariniers et responsables de la remonte des points délicats. (2)

Un autre éclairage nous est donné par ce témoignage sur le prix payé pour les chevaux fournis sur la Seine en vue du halage.

"Le halage a lieu au moyen de chevaux fournis par des particuliers à un prix convenu mais qui n’est fixé par aucune loi ou règlement ; ce qui est infiniment préjudiciable au commerce. La Seine, pour ce halage se divise en distances appelées racs : la navigation paie ordinairement 12 francs par rac et pour deux chevaux qui composent ce que l’on nomme un courbe ; mais ce prix est quelquefois porté jusqu’à 16 francs, principalement dans les basses eaux, et aux passages les plus difficiles tels que ceux du pertuis de Poses, du pont de Vernon etc." (4)

Il n’est pas inutile de relever que de nombreuses charges pèsent sur la batellerie de l’époque.
Il fallait payer les chefs de pont, de pertuis et leurs aides, les pilotes, donner des pourboires aux personnels des ponts et des écluses, etc.
Parmi toutes les taxes et péages auxquels étaient soumis les bateaux et marchandises, citons un très plaisant "droit de palage".
Nous devons de nouveau l’explication à H. Labrouche. La remontée d’un pertuis ne se faisait pas sans arrêts destinés à la réorganisation de la cavalerie et des hommes ou encore au changement d’île. Il était nécessaire d’amarrer le bateau à un pieu lors de ces arrêts afin qu’il ne dérive pas vers l’aval.
Ces pieux, mis en place par les propriétaires des champs bordant la rivière, donnaient lieu à une taxe, "le droit de palage".
Aussi cocasse qu’il puisse sembler, ce droit de palage nous raconte H. Labrouche, pouvait rapporter 300 francs par an au propriétaire d’un pieu.(2)
Somme conséquente lorsque on la compare au salaire journalier de 3f50 d’un menuisier de l’époque.(3)

Pour nous faire une idée de ces charges, penchons nous un instant sur ce que devait payer le patron d’un bateau de 127 tonneaux pour une immersion de 1m20 remontant la Seine de Conflans-Ste-Honorine au pont de la Concorde à Paris vers 1830.

"Droits de navigation depuis l’embouchure de l Oise jusqu’au port de la Briche 8 distances à 1c1/ 4 par tonneau et par distance plus décime et timbre : 14 fr 19 c.

Droits aux chefs et aides de ponts, la longueur du bateau prise pour 33 mètres :
Pont de Maisons, au chef 1f85
aux aides 2f 25
Pont du Pecq, au garde 1f 85
Pont de Chatou au chef 1f 85
à l aide 1f13
Pertuis de la Morue au chef 3f00
aux aides 4f30
Pont de Bezons au garde 1f25
Total jusqu’au port de la Briche 31 fr 89 c
Droits de navigation du port de la Briche au pont de la Concorde dans Paris 5 distances à 1 c 1 4 par distance et par tonneau plus décime et timbre 8 95
Pont d’ Asnières au garde pont 1f50
" de Neuilly idem 1f 50
" de St Cloud au chef 2f75
" aux aides 6f75
" de Sèvres au garde pont 1f50
Montant des droits 54 fr 84 c
Un cheval de renfort du pont de Maisons au Pecq 5f00
" du Pecq au pont de Chatou 2f00
20 chevaux de renfort pour monter la cataracte
de la rivière Neuve à 2 fr par cheval 40f 00
Un homme d aide depuis le Pecq jusqu’au pont de Chatou 4f00
Quatre chevaux de renfort au pertuis de la Morue
à 2 fr par cheval 8f00

Un cheval de renfort au pont d’Argenteuil 2f00
Chevaux servant au halage de Conflans
au pont de la Briche 250f00
Pilote de Conflans à la Briche 70f00
Nourriture des hommes et boissons 20f00
Frais jusqu’à la Briche 401f00 c
Pilote de la Briche au pont de la Concorde à Paris 40f00
Chevaux servant au halage de la Briche à Paris 95f00
Chevaux de renfort pour monter le pont de Neuilly 3f00
Un homme d’aide de la Briche à Paris 4f00
Nourriture des hommes et boissons 10f00
Dégrenage du bateau 5f00
Montant des frais 558f00c
Les droits sont de 54f84
Total des frais et droits de Conflans-Ste-Honnorine à Paris pont de la Concorde 612 fr 84 c". (5)


Pour fastidieuse qu’elle soit, la lecture de cette liste nous renseigne sur la lourdeur et la complexité des frais dont devaient s’affranchir les mariniers. Ces prix représentent une moyenne prise sur trois ans. De nombreuses variables pouvaient amener à des résultats sensiblement différents.

Sur cette gravure éditée à l’occasion de l’ouverture de la ligne de chemin de fer Paris-Rouen, nous voyons représentés les anciens et nouveaux modes de transport. Par Neantvide — (Jules Janin), Guide du voyageur de Paris à la mer par Rouen et Le havre, Paris, Ernest Bourdin éditeur (sd) (collection de l’auteur), CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=11905012

Comme c’est encore le cas aujourd’hui, les divers moyens de transport de l’époque entrent en concurrence les uns avec les autres.
A l’intérieur de chaque mode de transport la lutte sera rude entre les différentes technologies à l’œuvre.
Au temps des diligences, la voie d’eau s’impose, là où c’est possible, à un réseau routier mal entretenu, dangereux et synonyme d’inconfort.
Sur ces voies d’eau, la vapeur et le traction mécanique vont rivaliser avec succès avec la traction animale.
Puis le voie ferrée va lentement prendre le pas sur la voie d’eau pour ensuite se faire concurrencer à son tour par un réseau routier étendu et performant.

Examinons brièvement le transport des voyageurs sur la Saône pour voir la succession des moyens utilisés.
L’établissement Général des Messageries exploite des diligences depuis 1798. En 1799 cette compagnie crée l’ Exploitation de la Saône, un service de transport de voyageurs sur la Saône avec des coches d’eau tractés par halage à l’aide de chevaux.
Dès 1829 les premiers navires à vapeur effectuent des services sur la Saône. Dans le souci de ne pas se laisser déborder par d’autres, la compagnie se modernise et met en service le vapeur " l’Hirondelle " le 20 septembre 1830. (6).
Chalons sur Saône. Le bateau "Parisien" au ponton. Document issue du blog La batellerie.
En 1829 les premiers bateaux à vapeur reliaient Chalon à Lyon en moins d’un jour et demi là où les coches d’eau tractés par des chevaux mettaient quarante huit heures pour la descente et soixante heures pour la remontée. Vers 1831 "L’Hirondelle" ne mettait plus que 10 heures entre Chalon et Lyon et 13h30 à la remontée.
En 1854 l’ouverture de la ligne de chemin de fer Chalon-Lyon sonnera le glas de la batellerie sur la Saône. (6)

Il serait faux de s’imaginer qu’une nouvelle technologie fait immédiatement et complètement disparaitre les précédentes.
Sur les voies d’eau qui nous occupent les modes de propulsion des bateau fluviaux seront la traction à col d’homme, la traction animale, la traction mécanique, le remorquage, les automoteurs etc...
Il y aura une cohabitation plus ou moins longue entre la halage à col d’homme qui est dans sa phase d’extinction, la traction animale qui est majoritaire et la traction mécanique, le remorquage et les automoteurs qui commencent à prendre leur essor.

Remorqueur et son train de bateaux. Document issue du blog La batellerie.
Sur les rivières, les remorqueurs, toueurs ou à hélice, vont condamner la traction animale.
Plus rapides, plus puissants, plus souples dans leur utilisation, moins consommateurs de main d’œuvre, ces nouveaux moyens vont apparaitre sur les fleuves dès le début du 19ème siècle et s’imposer à partir du milieu du siècle.
Les toueurs fonctionneront sur la Seine jusqu’en 1931 et le remorquage jusque dans les années soixante.

La situation se présente de manière sensiblement différente sur les canaux. La pratique des chevaux de renfort y est rare. Nous avons vu que plusieurs solutions s’offraient à la batellerie pour haler ses bateaux : bateaux écurie, longs jours, sociétés de halage...
Les prix du halage différaient donc d’un bateau à un autre, d’une région à une autre.
Le péage. Document issue du blog La batellerie.
Comme en rivière, le péage sévit sur les canaux. Probablement le nombre de taxes diverses y est-il moins important que sur les cours d’eau.

Nous pouvons voir ci-dessous un exemple de la variabilité des prix selon les régions.

"En 1855 M Ernest Grangez établit les frais de traction sur les canaux du Nord à 4 millimes et demi par kilomètre et par tonne de charge là où le trafic est le plus actif (Précis historique et statistique des voies navigables de la France Paris 1855). Pour les canaux du Centre MM Chanoine et de Lagroné font ressortir le prix de traction à bras d homme à 7 millimes 7, le cheminement, à 11km 34 ; le prix du halage par cheval à 19 millimes 6, le cheminement à 22km 49. On estime que le travail dynamique de l’homme est le tiers de celui d un cheval. Il nous paraît possible d’affirmer que si l’on se rapportait à la vitesse relative la moyenne correspondante pour la France à une tonne et un kilomètre de chemin parcouru augmenté du courant favorable n’excéderait guère 5 millimes." (1)

Les services de touage sont peu nombreux sur les canaux et presque exclusivement réservés au passage des souterrains.
Le toueur du tunnel de Riqueval. Par Boerkevitz de fr.wikipedia.org, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=1286402
Citons pour mémoire, le tunnel de Riqueval, le tunnel de Mauvages, le tunnel d’Arzwiller. Un toueur est toujours en activité sur les deux premiers ouvrages. Ce sont les deux derniers endroits au monde où l’on peut encore voir ce type de remorquage.
Du fait de leur gabarit, les bateaux à aubes ne peuvent emprunter les canaux.Les remorqueurs à vapeur et à hélices ne naviguent pas ou peu sur les canaux.
D’autres techniques de halage vont se développer comme alternative au halage par les chevaux.
Le halage va toujours se faire depuis la berge, mais à l’aide de moyens mécaniques.
Nous n’entrerons pas dans les détails, passionnants, de ces divers moyens ( d’autres l’ont très bien fait. Voir ICI et (13)) mais nous allons en passer quelques uns en revue et voir l’incidence qu’ils ont eu sur la traction animale.
Dès la fin du 19ème siècle des essais de traction mécanique furent entrepris. Malgré, on s’en doute, l’opposition des partisans de la traction animale.
Cheval électrique 1896. Photo G. Kiffer.Document tiré du blog Papidema
En 1896, le "cheval électrique" tentait de remplacer le cheval tout court.

Deux vues de la cohabitation cheval/cheval électrique. Photos G. Kiffer. Voir les légendes des documents sur le blog Papidema
Cent vingt de ces engins circulaient en 1900. Ils donnèrent satisfaction à leurs utilisateurs. Ils étaient en particulier plus puissants qu’une courbe, mais comme expliqué sur le blog cité plus haut, des problèmes se firent jour.
Leurs principaux défauts étaient une vitesse guère supérieure à celle du cheval, une usure prématurée du matériel et une dégradation importante des chemins parcourus due aux roues métalliques. Leur utilisation prit fin à partir de 1904 (7).
Photo tirée du blog Papidema
Au sortir de la guerre 1914/1918, on vit des tentatives d’utilisation des chars de l’armée transformés pour le halage. D’autres machines sur chenilles furent mises en service (Citroën, Renault...).
Là encore, la dégradation des chemins par les chenilles fut une des raisons qui condamna le système.

C’est finalement la traction sur rail ou sur pneus qui allait assurer la relève.
La Compagnie Générale de Traction sur les Voies Navigables (C.G.T.V.N.) est crée en 1926.
Ses tracteurs sont électriques sur rail, électriques sur pneus, diésels sur pneus.
Photo CGTVN (Doc G. Kiffer) faite à Nancy sur le port Sainte-Catherine montrant les deux modèles représentatifs des années 50 dans l’est, le J 30 décrit plus haut et le Latil, moteur Gardner... Photo et légendes tirées du blog Papidema

En 1940, la C.G.T.V.N. possédait 933 tracteurs électriques qui se déplaçaient sur 668Kms de rails, 104 tracteurs électriques sur pneus sur 122kms de chemins et 500 tracteurs diésels pour 2500Kms de parcours. 356 tracteurs de genres divers complétaient l’effectif (8).
D’autres systèmes, comme les funiculaires furent expérimentés. C’est fou comme cette époque était féconde en idées de toutes sortes.

Comme nous l’avons dit plus haut, le changement ne s’est pas fait du jour au lendemain.
Il fut même violemment contesté par les bateliers qui reprochaient aux sociétés de traction mécanique de vouloir instaurer une situation de monopole qui leur permettrait de pratiquer des prix jugés abusifs.
Les propriétaires des bateaux écuries y voyaient une atteinte à leur chère autonomie.
Les bateliers firent entendre leurs doléances pendant le Congrès National de Navigation Intérieure tenu à Rouen du 4 au 8 juillet 1921. Voir ICI.
Bien entendu, les partisans de la traction mécanique avaient eux aussi leurs arguments. Des arguments que la CGTVN fit valoir en 1935. Voir ICI. (9)
La bataille allait être longue entre les deux manières de procéder.
Les deux moyens, traction animale et mécanique sur rail et sur route ont un temps cohabité.
Non sans difficultés pour les uns et pour les autres.

Deux vues de la cohabitation cheval/machine. Documents tirés du blog Papidema
Sur ces deux clichés, les chevaux continuent de tractionner leurs péniches malgré un service sur rail déjà en place. Les propriétaires des chevaux reprochaient aux tenants du halage mécanique la gêne occasionnée à leurs animaux par les rails, les traverses, les tirefonds etc.
A l’inverse, les partisans de la traction mécanique s’insurgeaient contre la présence des chevaux sur les mêmes chemins qu’eux. Présence qui les ralentissaient. Et comme le marinier payait plus cher la traction mécanique, il fallait qu’il y ait gain de temps. Finalement, la traction sur rail l’emporta et les chevaux peu à peu interdits sur nombre de secteurs équipés en traction électrique comme par exemple sur le canal de St Quentin et les canaux du Nord (1924). Les propriétaire de bateaux écuries furent invités à garder leurs animaux à bord sur ces tronçons de canaux.
Un auteur écrit en 1937 que "l’expérience a montré qu’il suffisait de dix péniches tirées par des animaux, réparties sur 200km, pour neutraliser totalement les effets du halage mécanique" (10).
Affirmation probablement pas partagée par les charretiers de bateau.
> Dessin Martial Chantre. Des chevaux, des péniches et des hommes. Les cahiers du Musée de la Batellerie.
Sur d’autres liaisons, comme le canal de la Marne au Rhin, la traction mécanique était facultative depuis 1929, machines et chevaux se côtoyaient (10).
Photo tirée du blog Papidema
Une autre scène entre cette fois-ci une autochenille et une courbe. Le bateau tractionné par l’autochenille vient de trémater le berrichon qui est derrière. La manœuvre n’a pas dû être aisée si l’on considère la largeur du chemin de halage. Les chevaux ont du s’écarter sur le talus.Comment ont-ils réagi au dépassement par un engin motorisé aussi bruyant ? Le trématage était de nouveau un problème qui divisait les partisans des deux moyens de traction. Les moins rapides, les chevaux, devant laisser la place aux plus rapides, les machines.
Le chemin de contre halage pouvait, là où il existait, présenter une solution acceptable par tous.

Et les résultats ? Une idée nous est donnée par une revue de 1931 évaluant les progrès consécutifs à l’installation de la traction électrique sur les canaux de l’Est.
La traction électrique fut mise en place en 1927 entre Bâle et Strasbourg.

"Le trafic Strasbourg- Bâle par le canal du Rhône au Rhin et l’embranchement de Huningue est passé en effet de 738 tonnes en 1924 à 221.872 tonnes en 1927, 449.260 tonnes en 1928 et 584.727 tonnes en 1929. Il a dépassé 700.000 tonnes en 1930. La vitesse de marche des bateaux atteint 2 à 5 kilomètres en plein bief.En juillet 1930, le parcours Strasbourg-Huningue, de 122 kilomètres, comportant 48 écluses, a été couramment effectué en cinq jours contre dix ou douze jours avec des chevaux" (11)

Le canal de Huningue était un point critique du halage par les chevaux en raison d’un fort courant qui le parcourait et qui contraignait les péniches a avoir recours à trois courbes à la remonte (12).

Cette traction depuis la rive fut condamnée et par la diminution du trafic et par l’installation de moteurs à bord des bateaux.
L’apparition de l’automoteur conduira au déclin définitif de la traction, animale ou mécanique.
Un recensement publié le 16 avril 1935 donne une idée de la progression des automoteurs. Ils sont 738 en 1912 soit 4,8% des bateaux, 1018 en 1921 soit 8,1%, 2952 en 1931 soit 19.3% et 3842 en 1935 soit 26.5% du total des bateaux fluviaux. Remorqueurs et bateaux de plaisance font partie de ce décompte (10).
Cependant, il fallu attendre 1950 pour voir le tonnage transporté par automoteur dépasser celui des bateaux tractionnés. Et ce n’est qu’en 1958 que le nombre d’automoteurs dépassera celui des tractionnés (13).

Le dernier bateau tractionné mécaniquement sur le canal de la Marne au Rhin s’est arrêté en 1970 (12).
La C.G.T.V.N. cessa ses activités au début des années soixante dix.
Auparavant, un petit sursis avait été donné aux chevaux de halage. Cet ultime sursaut eut pour cadre des circonstances hélas dramatiques ; la seconde guerre mondiale et les pénuries de carburant remirent une dernière fois les chevaux sur les chemins de halage sur certains canaux. De son côté, la traction électrique n’avait pas été interrompue, .

L’abandon progressif du halage animal va entrainer des changements économiques et sociaux.
Des professions vont disparaitre ou connaitre le déclin. Là encore la situation diffère selon la géographie. D’une manière générale, les petits métiers liés à cette forme de batellerie vont péricliter. Outre les charretiers et long jours, les haleurs qui aidaient au passage des bateaux vont perdre un emploi réservé aux plus pauvres et aux moins qualifiés. Les fustiers, les cordiers vont voir leur clientèle se raréfier. Tous devront se recycler plus ou moins facilement.

Selon leur position sur les voies d’eau, les auberges de marine vont devoir s’adapter ou fermer.
Avec la cessation du halage sur la commune de Poses,Hubert Labrouche écrit que "en presque cinquante ans, la population posienne s’effondrera de plus de 1500 habitants à 1000 habitants autour de 1900" (2).
Les revenus du passage du pertuis se sont envolés. Les chevaux ne sont plus nécessaires.
Je n’ai malheureusement pas trouvé d’ouvrage traitant de ces bouleversements. Tout juste quelques lignes en fin de certains livres. Il serait intéressant de savoir comment les humains et les économies locales ont affronté ces mutations.

Des mariniers, sur des péniches ou berrichons pour la plupart, ont continué à tractionner leurs bateaux avec des chevaux. Le plus souvent par contrainte. Ils étaient l’arrière garde d’une batellerie qui ne pouvait financièrement pas s’adapter. Trop pauvres pour la plupart ou pour quelques uns attachés à leurs animaux et à un certain mode de vie, ils continuèrent un temps à assurer de petits transports avec du matériel vieillissant.
Martial Chantre pense que le dernier bateau-écurie s’est amarré définitivement vers 1969 à Marseilles-les-Aubigny (14).
Mais qui peut dire avec certitude où le dernier cheval de halage a tiré son dernier bateau ?

A suivre.

Un certain nombre de textes et d’illustrations sont reproduits ici avec le consentement de leurs auteurs ou propriétaires. Merci de ne pas les utiliser sans autorisation.

La vignette est la reproduction d’une œuvre de Claude Delcloy "Traction".

Ps : cette évocation des moyens mécaniques utilisés pour propulser les bateaux couvre une période qui va du début du 19ème siècle au milieu du 20ème siècle. Ce n’est au mieux qu’un survol très rapide. Je m’excuse par avance auprès des lecteurs qui trouveraient certains raccourcis un peu trop rapides et je les invite à se reporter à un certain nombre des sites et d’ouvrages spécialisés signalés dans cet article.

(1) Revue universelle des mines, de la métallurgie, des travaux publics, des
sciences et des arts appliqués à l’industrie. Sous la direction de Ch. de
Cuyper.Volume 18. Paris et Liège.E. Noblet et Baudry. Libraires éditeurs. A Paris,
rue des Saints-Pères,15. page 236.
(2) Le halage sur la Seine à Poses aux XVIIIè et XIXè siècle. Hubert Labrouche.
Association des Anciens et Amis de la Batellerie. Poses (27). Mars 2015
(3) Relevé de quelques prix et salaire au 19ème et 20ème siècle Le lien
ICI
(4 )Histoire des environs de Paris. Georges Touchard-Lafosse. Tome deuxième.
Paris. Chez Philippe libraire. Rue de Furstenberg, N°8. 1837
(5) Précis historique et statistique des canaux et rivières navigables de la Belgique.
et de la France.Page 594. Benoît-Louis Rive. Bruxelles.Chez Leroux libraire. Rue
de la Madeleine et chez l’auteur à Jemmappes.1835.
(6) Les messageries maritimes : l’essor d’une grande compagnie de navigation.
1851-1894. Marie-Françoise Berneron-Couvenhes. Presse de l’Université Paris-
Sorbonne. 2007.
(7) Blog Papidema.
(8) Halage et traction. Souvenirs d’un batelier. François Bernwanger. Les cahiers de
la batellerie. N°30- Mai 1993.
(9) Ces deux communications sont disponibles sur le site de l’AAMB.
(10) La navigation intérieure en France. H. Boucau. L’information géographique. Année
1937 Volume 2 .Persée.
(11) Les Études rhodaniennes, vol. 7, n°2, 1931. L’aménagement électrique des
canaux de l’Est de la France . Persée.
(12) Chevaux et gens de l’eau sur les chemins de halage. René Descombes.
Cheminements éditeur.2007
(13) Gérard Bianchi Le halage mécanique sur berge en France. - .Les cahiers du
Musée de la Batellerie. N° 74. 2015 .
(14) Martial Chantre. Des chevaux, des péniches et des hommes.Les cahiers du
Musée de la Batellerie. Novembre 1998.

Portfolio

  • 01 . Les anciens et les modernes.
  • 02 . Sur la Saône.
  • 03 . Remorqueur sur la Seine.
  • 04 . Le péage.
  • 05 . Le toueur du tunnel de Riqueval.
  • 06 . Le cheval électrique.
  • 07 . Cohabitation.
  • 08 . Tracteur à chenilles et chevaux.
  • 09 . Tracteurs CGTVN.
  • 10 . Rencontre amicale.
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