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Sur des chemins liquides : bateaux à propulsion animale (1) . Les pionniers européens : du plan à la réalisation.

D 25 juillet 2016     H 20:23     A Traitgenevois     C 0 messages


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Nous entreprenons ici une courte série d’articles sur les bateaux où la propulsion était assurée par des animaux et particulièrement par des chevaux.
A l’inverse des bateaux halés où les chevaux, ânes et mulets assuraient le déplacement du bateau depuis la rive, les animaux allaient dans ce cas se trouver directement sur les embarcations pour actionner les mécanismes de propulsion.
Diverses familles de bateaux ont utilisé la force animale embarquée pour se mouvoir (toueurs, remorqueurs, ferrys...).
Il ne s’agit ici que d’essayer de faire découvrir ou de redécouvrir un pan méconnu de l’utilisation de l’énergie animale.
En France, il n’existe qu’assez peu de documentation d’époque ou actuelle sur le sujet.
Les thème semble avoir été mieux traité aux États-Unis où quelques chercheurs et blogueurs se sont penchés sur cette question. Il est vrai, comme nous le verrons par la suite, que l’énergie animale sur les bateaux y a été beaucoup plus utilisée qu’en Europe.
Souvent les informations seront livrées avec des réserves, des incertitudes. Il n’est pas toujours facile de vérifier certaines données.
D’autre part, les archives n’ont pas encore livré tous leurs secrets.

Pour nous documenter, nous avons pu compter sur l’aide, ô combien précieuse, de personnes et organismes (musées, archives, bibliothèques...) que ce soit de ce côté-ci ou de l’autre de l’océan.
Nous les citerons à la fin de ces articles.

La première représentation qui nous soit parvenue de l’utilisation de la force animale pour propulser un bateau est signalée dans l’ouvrage De Rebus Bellicis.
Il s’agit d’un ouvrage anonyme écrit au IV ou Vème siècle.
L’auteur s’adresse à l’empereur romain de l’époque pour lui proposer un certain nombre de réformes dont des machines militaires supposées donner un avantage indéniable aux armées impériales.
Nous n’entrerons pas dans les détails, mais un navire retient l’attention de ceux qui sont intéressés par l’utilisation de la force motrice animale. La liburne automotrice.
Miniature issue d’une copie du XVème siècle. Liburne mue par des bœufs. Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=1594605
La machine est propulsé par des bœufs à travers un ensemble manège, engrenages, roues à aubes.
Ce navire a-t-il réellement été construit ?
Une étude a été menée par l’Université de Caen Basse-Normandie afin de vérifier si la machine a pu être construite et fonctionner.
La conclusion laisse entendre que cela a été possible mais sans affirmer que cela fut fait. Aucun témoignage de l’utilisation de ce bateau ne nous est parvenu. Son utilisation a donc été au mieux très limitée.
L’étude est en tout cas passionnante. Voir ICI.

L’idée de pouvoir se soustraire aux caprices du vent et des courants, de diminuer l’utilisation de la force musculaire humaine pour déplacer des navires allait continuer de faire son chemin.
Au 17ème siècle un cousin du roi Charles II d’Angleterre, le Prince Rupert of the Rhine, construit un navire propulsé par des chevaux. Ce bateau, ou un similaire, servit un temps de remorqueur sur la Tamise pour les bateaux de la Royal Navy. Malheureusement il a été impossible d’en apprendre beaucoup plus à ce sujet. (1)

Le 18ème siècle verra le Comte de Saxe proposer de nouvelles inventions où la traction animale est employée au déplacement d’un bateau.
En 1732 le Comte de Saxe imagine deux "Machines pour remonter les batteaux (sic)".
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Machine pour remonter les bateaux. Les deux dessins sont issus du livre " Machines et inventions approuvées par l’Académie royale des sciences depuis son établissement... (jusqu’en 1754) avec leur description" Bnf. Gallica. (2)
Cette première machine est un bateau qui se toue (c’est à dire qui se hale lui même).
Les deux roues H et G sont indépendantes et peuvent à volonté être assujetties à l’arbre entraîné par le manège. Les chevaux font tourner une roue (H) rendue solidaire de l’arbre du manège et sur laquelle s’enroule un câble fixé en amont dans la rivière à l’aide d’une ancre (point O). En s’enroulant, la câble fait avancer le bateau. Quant le bateau sera presque arrivé au point O, un batelet tiré par un cheval déroulera un autre câble enroulé sur l’autre roue (G) restée libre et une ancre sera jetée au fond pour faire un nouveau point d’ancrage. Le bateau arrivé au point O, l’ancre de ce point sera relevée. et le bateau se halera sur le nouveau câble fixé à la deuxième ancre en s’enroulant sur la roue G qui aura été liée au manège. Le bateau entraînera à sa suite le bateau à remorquer.
Son système de poulies multiples permet divers choix selon la taille du bateau à remorquer.


Une autre machine pour remonter les bateaux. Les deux dessins sont issus du livre " Machines et inventions approuvées par l’Académie royale des sciences depuis son établissement... (jusqu’en 1754) avec leur description" Bnf. Gallica. (2)
Le deuxième bateau est un peu plus complexe.
Il se comporte en bateau autonome grâces à ses roues à aubes entraînées par des chevaux circulant sur une plateforme circulaire.
Seul, le bateau n’utilisera que ses roues à aubes.
En assujettissant la roue HI au levier TV, le bateau remorqué est tiré vers le remorqueur.
Explications sur le fonctionnement de la machine. Extrait du livre " Machines et inventions approuvées par l’Académie royale des sciences depuis son établissement... (jusqu’en 1754) avec leur description" Bnf. Gallica. (2)
Pouvait-il également se comporter en toueur ? Certains textes le donnent à penser.
Le doute est de mise sur la réelle utilisation de ce bateau. Là encore des textes et un dessin indiquent que le bateau aurait bel et bien été construit alors que d’autres sources prétendent le contraire.
Une machine, à la construction de laquelle Maurice de Saxe contribua, fut mise en service sur la Seine, à Paris. Elle remontait les bateaux du pont Royal au pont Neuf, soit sur 800 mètres environ (3). De là vient peut-être une certaine confusion.

Au début du 19ème siècle de nombreux systèmes de bateaux mus par des chevaux voient le jour.
Beaucoup ne laisseront que peu de traces comme celui de ce monsieur Langlassé qui dépose au Conservatoire des arts et métiers un brevet de bateau remorqueur à manège et qui n’est signalé qu’incidemment par une note de bas de page.
Il n’a pas été possible d’en apprendre plus à ce sujet.

Le bateau toueur de MM Tourasse et Courteaut est mieux connu.
Toueur de Tourasse et Courteaut. Dessin issu de Vapeurs sur la Rhône (4).
Le 8 janvier 1819 MM Tourasse et Courteaut déposent une demande de brevet pour un toueur de leur invention.
Ce bateau à fond plat est long de 23m pour 5,20m de large. Le plateau du manège a un diamètre de 8,9m.
Six chevaux sont prévus pour animer le mécanisme.
Les chevaux tournent sur un plateau pour transmettre le mouvement à un arbre horizontal sur lequel s’enroule un cordage, fixé en amont, qui va tirer le bateau.
Il est prévu qu’ils se déplacent au pas à une vitesse de 1m/s. A l’aide de divers rapports d’engrenages, selon la charge à remorquer et l’état de la rivière, il est possible de faire varier la vitesse du toueur à 320m/h, 776m/h, 1300m/h ou 1900m/h. (5)
Des essais sont faits à Lyon entre le port d’Ainay et le port de Serin. Là où il fallait 40 chevaux pour remonter 6 bateaux chargés à 500 tonneaux métriques, le toueur ne nécessitait plus que 6 chevaux. (4)

Du 15 novembre au 26 décembre 1821, ce toueur remonta 68 bateaux du port d’Ainay au port de Serin, sur la Saône à Lyon.
Deux remontes sont ici examinées
La première est celle du 20 décembre.

"La charge de ces six bateaux était de 450 tonneaux métriques ; quoique la Saône fût forte, on a passé ces six bateaux à la fois sans s’arrêter au pont du Change ; le patron qui commandait les manœuvres du toueur, marinier très expérimenté, a assuré que 48 chevaux à terre n’eussent pu dans ce moment faire franchir a la fois le pont du Change à ces bateaux." (5)

La remonte du 21 décembre est ainsi rapportée

"Quoique la Saône fût forte et augmentait encore, ces 5 bateaux, contenant 450 tonneaux métrique, ont été amenés avec la facilité ordinaire jusqu’au pont du Change ; arrivé sous ce pont et au moment où le premier bateau chargé l’avait presque franchi, le câble sur lequel on se remontait s’est rompu ; on a arrivé cependant le toueur et tous les bateaux chargés sans avarie le lendemain 22, le toueur a rendu ces 5 bateaux à leur destination ; le câble qu’on a rompu avait 55 millimètres de diamètre il était chanvre d’Italie de première qualité." (5)


Tableau des remontes effectuées par le toueur à chevaux de Tourasse et Courteaut. (5).
Il ne semble toutefois pas que, malgré ces succès, la machine ait été employée en exploitation. La vapeur prit le relais des chevaux.

D’autres inventions seront présentées, comme à Nantes le remorqueur zoolique de P.-A. Guilbaud vers 1820 . De son propre aveu, l’idée du "moteur" lui est venue en prenant connaissance de l’ouvrage « Traité complet de mécanique appliquée aux arts... » de Giuseppe Antonio Borgnis. En 1818, celui-ci y décrit le fonctionnement d’un système mécanique qu’il a imaginé, le plan incliné mobile.
Plan incliné de Giuseppe Antonio Borgnis. Dessin issue du Traité complet de mécanique appliquée aux arts.
Sur ce plan incliné se déplace un cheval qui entraîne un mécanisme.
Il n’en reste probablement qu’à l’exposé du principe sans passer à la construction.
Plan incliné mobile.Paru dans le "Bulletin de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale", Volume 21. Paris 1822.
P.-A. Guilbaud explique avoir repris l’idée et proposé un plan incliné mobile ambulant préfigurant la trépigneuse. P-A. Guilbaud met en avant la simplicité et le faible coût de construction de sa machine. A-t-elle effectivement été construite et utilisée ?
Il est difficile de dire avec précision s’il s’agit là de l’invention du procédé ou de l’amélioration d’une machine déjà existante. Bien que présentée en 1822, le plan incliné mobile ambulant, ou du moins sa conception, est-il antérieur ou postérieur au zoolique ?

Une autre piste mériterait d’être explorée qui pourrait expliquer l’implantation d’un plan incliné comme moteur sur le bateau de P-A Guilbaud.
Le bateau de L-A-D. Hoyau. Voir aussi le document PDF. (6)
En 1817 Louis-Alexandre-Désiré Hoyau déposait un brevet d’invention pour un "Bateau à manège mu par des chevaux".

"Ce bateau porte, près de l’un de ses bouts, un manège qui est mu par deux, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, ou dix chevaux à volonté marchant, sur un plancher situé un peu au dessus des bords du bateau, ou bien dans le fond du bateau si les dispositions le permettent" (6)


Le bateau de L-A-D. Hoyau. Détail du manège et du mécanisme de transmission aux roues à aubes.(6)
Louis-Alexandre-Désiré Hoyau est mécanicien à Paris. Des détails particulièrement remarquables sont décrits qui dénotent du soin et de l’inventivité apportés à la conception de la machine (voit le document PDF (6) pour la description complète).
Les deux roues à aubes peuvent à volonté tourner dans le même sens ou en un sens contraire.

"...au moyen du manchon de fonte (a) qui glisse entre les deux supports (z) les deux parties de l’arbre (u) peuvent être rendues dépendantes ou indépendantes l’une de l’autre ce qui permet à volonté de faire mouvoir une des roues à aubes dans un sens et l’autre en sens contraire." (6)

Détail du système d’embrayage et de mise en mouvement. (6)
Le mécanisme possède un embrayage. qui permet de stopper le mouvement du manège sans pour autant arrêter les chevaux. Le dispositif sert également de sécurité et "cède à un effort brusque lorsque la machine est en danger de se détruire." (6)
Détail du système d’embrayage. L’entrainement se fait par frottement entre les cercles m et n du dessin selon que l’on serre plus ou moins à l’aide du levier o. (6)

Le manège, et c’est là un détail intéressant, peut être remplacé par un plancher mouvant "que l’on peut tenir horizontal ou incliné".
Détail du plan incliné.(6)
Seul un petit détail représente une ébauche de plan incliné mobile..
Suit une description sur la manière dont les chevaux devraient, selon l’auteur, travailler sur ce plancher mouvant.

"Il résulte de cette disposition que, si on fixe deux traits en un certain point pris sur le bateau, le cheval que l’on attachera à ces traits, ne pouvant les entraîner dans sa marche, agira par son poids sur le plancher mobile si ce plancher est incliné ; et par le tirage qu’il opérera de cette manière, ne pouvant faire avancer les traits qui sont fixes, il fera mouvoir le plancher même qui s’enfuira sous ses pieds ce qui mettra les roues à aubes en action ..." (6 )

L’idée du plan incliné était donc dans l’air du temps.

Où l’histoire rejoint le zoolique, c’est quand on apprend que le brevet a été cédé le 24 juin 1817 à un Monsieur Brouchon de Nantes.
Coïncidence troublante ou possible filiation entre les deux bateaux ?
Les deux hommes ont-ils pu se côtoyer au sein d’une des sociétés savantes de l’époque ?
Bien que envisageable, un lien entre les deux machines reste pour l’heure hypothétique.

Revenons au zoolique et détaillons un peu son fonctionnement.
En réalité, il faut parler des "zooliques" P-A Guilbaud ayant présenté trois projets de bateaux dans sa demande de brevet du 28 juillet 1821.
il y décrit en préambule :

" un nouveau moyen d’employer la force des animaux sur des bateaux remorqueurs, de passage ou pour le transport des marchandises, pour faire mouvoir des roues à pelles ou tout autre mécanisme..." (7)


Ce moyen est le plan incliné mobile qui se trouve au cœur de l’invention.
Ce plan est incliné de "21 pouces par toise" soit une pente d’environ 26%.
Examinons un par un les bateaux imaginés par P-A Guilbaud.

1- Le remorqueur.
Planche du bateau remorqueur zoolique. [Source : Archives Institut national de la propriété industrielle- INPI.>https://www.inpi.fr/fr]. Copie interdite sans autorisation.
Le remorqueur se présente comme un grand bateau d’une vingtaine de mètres de longueur sur trois mètres de large. Son tirant d’eau est d’un peu plus de 40cm.
Il est muni de deux planchers inclinés mobiles, un à l’avant et un à l’arrière.
Deux ensembles de trois chevaux marchent sur ces deux planchers inclinés mobiles faisant ainsi tourner chacun un axe muni en son embout des roues à aubes. Ces deux paires de roues font avancer le bateau.

Le plancher de l’avant fera logiquement se mouvoir les deux roues à pales de l’avant et celui de l’arrière animera les deux roues arrière.
A noter que les deux roues avant ne sont pas parallèles à la coque afin d’éviter que leurs remous perturbent les roues arrière.
Les deux groupes de chevaux sont positionnés dos à dos.
Détail du système d’entrainement avant du bateau remorqueur zoolique. [Source : Archives Institut national de la propriété industrielle- INPI.>https://www.inpi.fr/fr]. Copie interdite sans autorisation.
Pour que les roues avant tournent dans le même sens que celles de l’arrière, un système d’engrenages coniques a été mis en place (F1,F2). Sur les arbres de ces deux roues avant sont fixés deux cabestans (R,R) destinés à ce que le bateau se toue en cas de besoin.
Les roues à pales ont un diamètre d’environ trois mètres.
Un mât pouvant supporter une voile apporte une option supplémentaire pour faire avancer le bateau.

Les chevaux étaient placés sur le plan B, maintenus dans des brancards amovibles (M) et équipés de colliers.
A l’origine les chevaux étaient munis d’une sous-ventrière reliée à un mécanisme de freinage. Si un cheval s’abattait, il était retenu par la sous-ventrière qui déclenchait alors le frein. A l’usage il est apparu que ce système n’était pas utile (ou inefficace ?) et il fut supprimé par la suite
Au milieu du bateau un espace dégagé servait d’écurie afin d’assurer un relai entre chevaux venant de travailler et chevaux reposés (dimensions de l’écurie : 10m X3m).
L’écurie était dimensionnée pour recevoir tous les animaux au cas où la voile seule permettrait d’assurer la motricité du bateau.
Des ouvertures (U) assuraient l’accès des chevaux au bateau.
A l’arrière, un système autorisait l’accouplement du bateau à remorquer.

2- Le transport de voyageurs.
Planche du bateau zoolique pour le transport des passagers. [Source : Archives Institut national de la propriété industrielle- INPI.>https://www.inpi.fr/fr]. Copie interdite sans autorisation.
Un autre zoolique, plus simple, était prévu pour être affecté au transport de personnes et à l’agrément. Il ne comportait qu’un seul plancher mobile qui entraînait deux roues à pales et n’était actionné que par deux chevaux.
Lui aussi était muni de cabestans (U) destiné à touer le bateau en cas de besoin.
A noter que l’appareil moteur était réglable en hauteur afin que les pales s’enfoncent toujours d’une même hauteur dans l’eau que le bateau soit chargé ou pas.

Vu la brièveté des voyages envisagés, il ne comportait pas d’écurie.
Les plans de la demande de brevet lui donne un longueur de quinze mètres sur deux mètres cinquante de large. En charge, il déplace 10 tonnes d’eau.

3-Le bateau de poste.

2 Planche du bateau zoolique poste. [Source : Archives Institut national de la propriété industrielle- INPI.>https://www.inpi.fr/fr]. Copie interdite sans autorisation.
Le troisième bateau est un bateau de poste destiné au "transport des passagers et des marchandises en bas des rivières jusqu’à la mer" (7)
Ce bateau ne comporte qu’une seule roue à pales. Elle se trouve au centre de l’embarcation qui est constituée de deux coques (Proas) reliées entre elles. Les deux plans inclinés mobiles sont répartis de chaque côté.
A l’avant, un magasin d’écurie est réservé pour ce qui tout concerne les chevaux.
Les passagers ont une "grande chambre" (E) à leur disposition. Deux "lieux d’aisance" (G1,G2) , un pour les femmes, un pour les hommes sont attenants à la pièce (7) .

Détail de la machinerie et du dôme. [Source : Archives Institut national de la propriété industrielle- INPI.>https://www.inpi.fr/fr]. Copie interdite sans autorisation.
Chevaux et mécanique sont protégés par un dôme.
Sur ce bateau également, l’appareil de propulsion peut être réglé en hauteur grâce aux vis (t).
Les petits cylindres (P) aident à supporter le poids des chevaux (7) .

Vous pouvez découvrir une maquette et un dessin de deux de ces bateaux sur le lien ICI. Aller en bas de la page.

Les bateaux et les mises en service.
Au moins trois bateaux furent construits entre 1821 et 1823 à l’initiative de P-A. Guilbaud..
D’après les archives consultées, un premier type a fait l’objet d’essais sur la Loire en
1821.
Il s’agissait d’un petit bateau de 6 mètres de longueur par 2 mètres de largeur et d’un tirant d’eau de 60 centimètres sur lequel le plan incliné était embarqué. Bien que le texte ne soit pas très clair sur ce point, il semble que le bateau était mis en mouvement par deux roues à aubes entraînées par deux chevaux. Les chevaux au pas faisaient faire aux roues 13 à 14 rotations par minute.
Des mesures de vitesse de navigation ont été relevées.
Première mesure avec un courant et un vent contraires : 4800 mètres parcourus en 2h45mn.
Deuxième, troisième et quatrième mesures : 4800 mètres parcourus en 1h26mn.
Dans ces trois expériences la vitesse du courant contraire était d’environ 5km/h et le vent très faible.
Dans le meilleur des cas la vitesse à contre-courant avoisine les 3,5 km/h.(8).
En descendant le courant, une vitesse de presque 9km/h a été enregistrée. (9)

L’état des chevaux dans l’effort a préoccupé les expérimentateurs. Voici ce qu’ils en disent.

"Les chevaux, pendant cette course, ont été soumis à l’examen d’un homme qui a une longue habitude de faire travailler ces animaux : il a jugé que ceux qui servaient de moteur sur le bateau ne faisaient qu’un effort médiocre, et pouvaient faire des stations de quatre heures, en continuant habituellement ce travail" (8)

Au début de 1822, d’autres mesures sont effectués sur l’Erdre avec un bateau dont la description ressemble à celui dont le brevet a été déposé pour le transport des voyageurs (bateau 2). Les dimensions avancées dans les documents correspondent à ce bateau.
L’Erdre a un courant quasi nul et la vitesse atteinte par le bateau s’en ressent. Les mesures de vitesse se sont faites entre la chaussée Barbin et la Gâcherie.
Le bateau parcourt 8543 mètres en 91 minutes soit une vitesse de 5,6km/h.(8)

De nouveau les observateurs s’attachent à estimer les effets du travail demandé sur la santé des chevaux.

"Ce travail s’obtient sans excéder de fatigue les deux seuls chevaux qui conduisent depuis quatre mois, à raison de huit voyages par semaine, dont quatre de nuit, chose qui nous avait paru douteuse l’an dernier. Nous avons appelé un homme habitué à traiter les chevaux de peine ou les chevaux médiocres ; il s’est trouvé à l’arrivée du bateau revenant de Nort par conséquent dans le moment où les animaux devaient être le plus fatigués : il nous a déclaré que les siens l’étaient plus quand ils avaient fini leur journée sur le port. Nous l’avons invité à prendre en considération que ces chevaux travaillant sur un plan incliné de 21 pouces par toise étaient peut-être exposés à perdre promptement leurs jarrets de derrière : cette objection ne lui a pas paru inquiétante, parce-que, dit-il,l’habitude devient une seconde nature. En effet on n’a pas remarqué que les chevaux de charge qu’on emploie dans les montagnes se ruinassent plus tôt que les autres. Nous nous trouvons donc disposés à ne plus craindre, autant que l’an dernier, une consommation excessive de chevaux" (8)

Toutes ces évaluations sont faites de manière subjective. Il n’est nulle part fait mention de mesures sur les chevaux qui auraient pu être menées de façon plus objective.
Nous ne savons pas qui est cet homme "habitué à traiter les chevaux...". Les notions de bien être animal ont considérablement varié entre le 19ème siècle et notre époque.
Nous n’avons qu’une brève description de la manière dont les animaux étaient harnachés.
Nous n’avons pas non plus de rapport sur l’état de la cavalerie ni sur le nombre de chevaux finalement employés à l’issue de l’exploitation de la ligne.
L’origine des chevaux nous est inconnue. Jeunes, vieux, chevaux issus d’élevages ou chevaux de réforme ? Nous ne connaissons pas leur morphologie.
Un autre point est à relever. Le trajet fait environ 30kms. A la vitesse d’un peu plus de 5km/h il faudra entre 5h30 et 6h pour parcourir la distance. On s’éloigne ainsi des 4 heures de travail préconisées par la première personne à avoir donné son avis. L’hypothèse d’un relais à terre n’est pas évoquée.
Notons que le bien être des chevaux n’était probablement pas la principale préoccupation des observateurs. "Une consommation excessive de chevaux" entraînerait un surplus de dépenses qui pourraient être fatal au bilan financier de l’exploitation de la ligne.

Arrêtons-nous un instant sur ce qu’en pensait P-A. Guilbaud lorsqu’il rédigea sa demande de brevet.

"Les chevaux attelés sur ces planchers mobiles, allant au petit pas de route, c’est à dire faisant 1800 à 2000 toises par heure (3500 à 3900 mètres à l’heure) et transmettant le maximum de leur effet aux roues à palles, faisant faire à celle-ci 19 à 20 révolutions par minute ; ce qui est une vitesse suffisante pour faire parcourir aux bateaux munis de cet appareil, plus de deux lieues à l’heure (9,6 km) en eau morte ainsi que j’en ai eu l’expérience.
Le travail des chevaux n’est pas très fatiguant ; ils peuvent aller ainsi huit heures par jour et rester trois à quatre heures avant d’avoir besoin de repos ; en observant d’avoir le soin de les arrêter d’heure en heure pour les laisser souffler et pisser, comme les rouliers les pratiquent sur les grandes routes." (7)

Le travail de ces chevaux sur ces plans inclinés mobiles se rapproche de celui effectué sur une trépigneuse.
D’après des témoins de l’époque, le temps de travail d’un cheval sur cette machine n’excédait généralement pas la demie-heure. Après quoi, on laissait le cheval souffler et, selon les cas, un deuxième cheval prenait la relève.
Difficile cependant de comparer de manière absolue le travail d’un cheval à la trépigneuse et celui de plusieurs chevaux sur un plan incliné qui déplace un bateau.
La pente du plan incliné transportable de P-A. Guilbaud est d’environ 30%.
Des mesures faites sur une trépigneuse de la fin du 19ème siècle font apparaître une pente de 35%.
Les rapports fait lors des essais décrivent une inclinaison de 26%, ce que confirme l’examen des plans.

Ce bateau a navigué sur l’Erdre entre Nantes et Nort (soit moins d’une trentaine de kilomètres). Cette rivière n’était pas bordée de chemin de halage ce qui explique son choix pour la mise en service de ce bateau.
Début novembre 1821, un communiqué paru dans le Journal de Nantes et de la Loire-Inférieure indique un premier départ pour le 10 de ce mois. Rectification fin novembre où une parution dans le même journal annonce des départs irréguliers (10).

P-A Guilbaud a édité un règlement en janvier 1822. (11).
Il donne un nom au zoolique : le Mercure. L’équipage est composé de trois personnes, deux mariniers et un mousse.
P-A Guilbaud laisse transparaître sa proximité intellectuelle avec Charles Fourier lorsqu’il dit que "les deux mariniers sont égaux, ils devront vivre en frère et en bonne intelligence".
Un passage est consacré aux chevaux.
C’est au mousse que reviendra la charge des deux chevaux du bord.

"9° - Le mousse est subordonné aux mariniers ; son service consiste à conduire les chevaux, les mener à l’écurie et ramener au bateau ; les panser et les soigner ; visiter avant le départ s’ils ne sont pas déferrés, etc ; il couchera avec ses chevaux." (11)


Le texte laisse entendre qu’il y avait probablement un écurie à chaque extrémité de la ligne.(Voir document PDF). (11)

De nouveaux horaires, plus réguliers ceux-ci, ont été donnés le 29 mars 1822.

"Avis et Demandes
110 Bateaux zooliques
A partir du 1er avril, les jours et heures des départs du bateau Zoolique, établi sur l’étang de Barbin, auront lieu ainsi qu’il suit :
Du village de St George pour Nantes :
Dimanche à midi
Mardi à midi
Jeudi à midi
Vendredi à 10 heures du soir
De Nantes pour le village de St George :
Lundi à 7 heures du matin
Mercredi à 7 heures idem
Vendredi à 5 heures idem
Samedi à 8 heures du soir
On se charge du transport des marchandises qui seront logées convenablement et à couvert dans un bateau de remorque." (10)

Jusqu’à quelle date le bateau a-t-il fonctionné sur l’Erdre ? Mystère.
Une note parue dans les Annales Société Royale académique de Nantes et de la Loire-Inférieure de 1833 indique que le zoolique a été remplacé par un bateau à vapeur.(12)

Le voyage à Paris.
Le 21 juin 1823, P-A. Guilbaud part de Nantes à destination de Paris.
Il remonte la Loire jusqu’au canal d’Orléans. Puis franchissant ce dernier il parcourt le canal du Loing jusqu’à la Seine et de là descend la Seine pour rallier Paris le 25 juillet.
Cette fois-ci les descriptions du bateau le font plutôt ressembler au bateau de poste avec une seule roue centrale. Mais des détails indiquent également quelques différences ; La roue est placée sur le gaillard d’avant.
Quatre chevaux s’employaient à la motricité de l’unité, Il a été supposé que des relais avaient été nécessaires et que par conséquent huit chevaux ont fait le voyage, d’où la possible présence d’une écurie à bord. (13) .
Pendant ce voyage, P-A. Guilbaud a tenu un journal qui n’a pu être consulté.*

Que sont devenus ces bateaux ?
L’entreprise Pierre Gelin-Dudeffard située place Graslin à Nantes a construit ce type de bateau dans les années 1840.(14)
Dès 1822 un vapeur, "La Loire", navigue sur la Loire entre Nantes et Angers. Ce service de bateaux va se développer jusqu’à l’arrivée du chemin de fer qui desservira Tours, Angers puis Nantes vers la fin 1840.
Mais un article dans le "Guide pittoresque portatif et complet du voyageur en France" (15), édité en 1850, indique un service par "Bateau zoolique (mécanique ) de Nantes à Vertou et de Vertou à St Fiacre Départs 2 et 3 fois par jour Embarcadère à Pont Rousseau "
Ce voyage se déroule sur la Sèvre Nantaise. Était-ce toujours le même bateau que celui qui naviguait sur l’Erdre en 1822 ?

A l’occasion de l’Exposition des produits de l’industrie française de 1823, P-A Guilbaud obtint une médaille de bronze pour le zoolique qu’il a présenté. (16)

La réputation du zoolique a franchi les frontières.
La première fois grâce à un journal de langue anglaise imprimé à Paris par un citoyen italien. Le Galignani’s Messenger du 17 mai 1822 fait paraître cette annonce :
Source : BSB Bayerishe StaatsBibliotek digital
Le bateau de P-A. Guilbaud qui navigue sur l’Erdre y est présenté. La possibilité de construire un bateau à un seul cheval y est évoquée. Les personnes intéressées par plus de renseignements sont priées de prendre contact avec PA Guilbaud, N°1 rue Montesquieu Nantes.(17)
Source : Polytechnisches Journal, Volume 13. (18)
Une autre parution, dans une revue de langue allemande cette fois. Il s’agit d’une des plus importante revue technique allemande du 19ème siècle, le Polytechnisches Journal. La revue était éditée à Stuttgart.(18)

Le zoolique a-t-il eu une descendance hors des frontières françaises ?

A suivre.

Un certain nombre de textes et d’illustrations sont reproduits ici avec le consentement de leurs auteurs, propriétaires ou ayants droit. Merci de ne pas les utiliser sans autorisation.

(1) Erickson, H. H. (2006). History of horse whims, teamboats, treadwheels, and treadmiIls. Retrieved from http://krex.ksu.edu
(2) Machines et inventions approuvées par l’académie royale des sciences.Tome sixième. A Paris chez Antoine Boudet,Rue St Jacques. 1735. Bnf Gallica.
(3) Histoire de Maurice, comte de Saxe, duc de Courlande et de Sémigalle. Maréchal Général des Camps et Armées de Sa Majesté Très Chrétienne. Par Mr le baron d’Espagnac. Gouverneur de l’Hôtel Royal des Invalides. A Toulouse Chez N.-Étienne Sens. Libraire & Imprimeur rue & vis à vis St Rome 1789.
(4) Jean-Marc Combe et Bernard Escudie avec la collaboration de Jacques Payen. Vapeurs sur le Rhône. Centre Régional de la Publication de Lyon.Presses
Universitaires de Lyon. 1991.
(5) Essai sur les bateaux a vapeur appliques a la navigation intérieure et maritime de l’Europe. Par Tourasse et F.-N. Mellet. A Paris chez Malher et compagnie. A la librairie scientifique- industrielle. Passage Dauphine. 1828-1829.
(6 Description des machines et procédés spécifiés dans les brevets d’invention de perfectionnement et d’importation dont la durée est expirée. Par M. Christian. Directeur du Conservatoire royal des arts et métiers.Tome XIII. A Paris chez Me Hazard. Imprimeur-libraire. Rue de l’éperon-Saint-André-des-arts. N°7. 1827. Dessins et description aimablement transmis par le CNAM Paris.
(7) Source : Demande de brevet du 28 juillet 1821. Les descriptions de bateaux s’appuient également sur cette demande de brevet. Archives Institut national de la propriété industrielle- INPI.
(8) Données tirées du Bulletin de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale. 21ème année. A Paris de l’imprimerie de Me Huzard. Rue de l’Eperon-Saint-André-des-arts, n°7. 1822.
(9) Procès verbal de la Séance publique de la Société académique du département de la Loire-Inférieure tenue le 19 décembre 1822. A Nantes, de l’imprimerie Mellinet-Malassis, imprimeur de la société. 1823.
(10) Journal de Nantes et de la Loire Inférieure, année 1821-1822, Médiathèque Jacques Demy de Nantes.
(11) Archives départementales de Loire-Atlantique, 758 S 1.
(12) Annales Société Royale académique de Nantes et de la Loire-Inférieure. Quatrième volume. De l’imprimerie de Mellinet. 1833.
(13) Données tirées du Bulletin de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale. 22ème année. A Paris de l’imprimerie de Me Huzard. Rue de l’Eperon-Saint-André-des-arts, n°7.1823)
(14) Information transmise par le Musée de l’Erdre à Carquefou, ainsi que les documents 10 et 11.
(15) Guide pittoresque portatif et complet du voyageur en France
(16) Rapport sur les produits de l’industrie française. A Paris, de l’imprimerie royale. 1824.
(17) Galignani’s Messenger. 17 mai 1822. N°2250.
(18) Polytechnisches Journal, Volume 13. Édité à Stuttgart. Janvier 1824.

Des informations émanant du livre "Le Touage" de Bernard Le Sueur ont également été utilisées. Le livre est édité par Les cahiers de la batellerie.

* Ce journal est introuvable à ce jour. Si quelqu’un sait qui en détient l’original ou une copie, qu’il prenne contact avec notre association ou le Musée de Carquefou. Sa lecture lèverait sans doute le voile sur bien des points restés obscurs ou sans réponses.

Portfolio

  • 01 . Liburne automotrice.
  • 10 . Toueur du Comte de Saxe. BNF.
  • 20 . Détail. BNF.
  • 30 . Bateau du Comte de Saxe. BNF.
  • 40 . Détail. BNF.
  • 50 . Source : archives INPI.
  • 60 . Source : archives INPI.
  • 70 . Source : archives INPI.
  • 80 . Source : archives INPI.
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