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Techniques de halage (2ème partie) . Les chevaux de halage (9).

D 16 mars 2015     H 11:26     A Traitgenevois     C 0 messages


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Le halage avec des équidés impliquait un certain nombre de manœuvres que l’on a peine à imaginer aujourd’hui.
Toutes les manœuvres des bateaux tractés par des chevaux décrites dans cet article étaient soumises à des règlements qui les codifiaient.
L’apparition de la motorisation entrainera de nouvelles règles au détriment de la traction animale plus lente et de plus en plus considérée comme archaïque.

Trémater

Trémater* un bateau n’était pas si simple lorsqu’il n’y avait un seul chemin de halage et que deux courbes d’équidés halaient leur bateau par l’entremise d’un tirage.
Au vu de la description de la manœuvre ci-dessous, il est possible de penser que le trématage d’un bateau par un autre devait se faire avec l’aide du trématé sinon son consentement. Des règles président au trématage, mais leur application semble avoir été quelque peu problématique si l’on en croit l’extrait suivant :

"Le droit de trématage est en lui même une source d’abus de difficultés de querelles et de désordres sur les lignes navigables et il tend à produire des encombrements et des retards." (1)


Et d’après les divers témoignages de mariniers, il semble en effet que le trématage pouvait dégénérer en conflits entre les bateliers. Il ne faut surtout pas perdre de vue que la navigation de ces bateaux est avant tout une affaire commerciale. Gagner du temps peut se révéler crucial.
Pour comprendre la manœuvre, examinons un trématage à l’aide de ces deux photos.
Le bateau trématé va se placer bord-hors**, arrêter ses chevaux et laisser tomber son tirage au fond de l’eau afin que le bateau qui le trémate puisse passer au dessus.
Image du Blog ronfleur.centerblog.net
Source : ronfleur.centerblog.net sur centerblog.
Le bateau bord-hors (à droite) s’est éloigné du chemin de halage. Ses chevaux sont à l’arrêt et son tirage est posé au fond de l’eau et sur le chemin. Le charretier en profite, assis, pour prendre un moment de repos. L’homme à la barre est attentif à la manœuvre. Le bateau avaterre** vient de le trémater en passant au dessus du tirage de son bateau.
Canal de St Quentin.Image issue du blog de Daniel Debeaume.
Le bateau qui a trématé s’éloigne. Les chevaux de l’autre bateau se remettent en route. Le bachot commence à se réaligner sur le bateau.

Se croiser.

Se croiser impliquait des opérations à peu près similaires.
Dans ce cas de figure, la priorité est donnée au bateau montant sur le bateau avalant.
Le bateau avalant se plaçait alors bord-hors, c’est à dire côté opposé au chemin de halage et s’immobilisait laissant son tirage se déposer au fond de l’eau.
Le montant continuait son chemin sans s’arrêter et passait au dessus du tirage de l’autre bateau qui reposait au fond de l’eau.
Mais cette règle ne s’appliqua pas toujours en tous temps et en tous lieux.
Croisement "en lève". Dessin de Martial Chantre « Des chevaux, des péniches et des hommes » © Collection Association des Amis du Musée de la Batellerie.
Lorsque c’était possible, et c’est un des avantages du grand-mât, la manœuvre pouvait se faire "en lève", en "Haut-lève" exactement. Le tirage de l’avalant passait dans ce cas au dessus du montant.
Ces croisements, même s’ils demandaient de l’attention, étaient relativement aisés sur un canal.
Sur une rivière, il pouvait en aller tout autrement. La rivière est parcourue par un courant et son fond peut être encombré d’herbes. Dans ce cas, le tirage de l’avalant,déposé au fond de l’eau, pouvait se trouver coincé dans un herbier.

Le bateau continuait sa course, mais la maillette*** se trouvait prise dans l’herbier qui, selon sa masse, se comportait en point d’appui.
D’un côté il y avait un bateau de 300 tonnes qui dérivait et de l’autre des chevaux qui représentaient 1 tonne à 1,5 tonne. La situation devenait dangereuse voire mortelle pour les équidés. Il fallait vite débiller**** sous peine de voir les chevaux emportés dans la rivière et se noyer.
Couper le tirage était un pis aller. Les charretiers portaient sur eux un large couteau destiné à cette opération d’urgence.
Un système a heureusement vu le jour et permis d’éviter cette opération extrême.

Ce type de palonnier permet de débiller de manière extrêmement rapide.
Photos Charly Bayou. Responsable du Musée de la batellerie de l’Ouest. Redon.
Un coup bien sec de manche du fouet sur le mécanisme suffit à libérer les chevaux.
Les ouvrages d’art tels les ponts-canaux ou les passages en souterrain, présentaient des difficultés pour les chevaux et nécessitaient des opérations ou des précautions particulières.

Le pont-canal.

Sur un pont-canal le chemin de halage peut ne se trouver que sur un côté et ne pas permettre le passage de plusieurs chevaux de front. Ceux-ci étaient alors mis en "lognette", c’est à dire placés en file.
Le pont canal à Agen. Remarquez les collier provençaux qui équipent les chevaux. Photo issue du site CPArama.
Ces passages impliquaient des efforts supplémentaires aux équidés. Gérard Bianchi sur son blog, décrit bien le problème sur le pont-canal de Troussey.

"La section de la voie d’eau était aussi très étroite. 12,5 m² pour 10 occupés par un bateau à 2,00 m d’enfoncement. A tel point que l’écoulement de l’eau entre la maçonnerie et la coque d’un bateau chargé freinait considérablement celui-ci (effet piston). La longueur rétrécie était de 140 m. Un bateau halé par quatre chevaux mettait plus de 3/4 d’heure pour le traverser, soit une vitesse de 0,2 km/h au lieu de 2,2 avec deux chevaux en bief ordinaire."

Les tunnels.

Cette pratique de la "lognette" pouvait aussi s’appliquer dans certains souterrains.
Il fallait pour cela que l’ouvrage soit équipé d’un marchepied assez large pour le passage des équidés.
Tunnel de Liverdun. Collection personnelle.
C’était le cas du tunnel de Liverdun entre autres. Les chevaux là aussi étaient mis en "lognette" comme on peut le voir sur la photo ci-dessus.
Cette technique était également utilisée dans le tunnel de Balesme (4820m), 7330m en tenant compte de la tranchée.
François Berenwanger explique que ce tunnel n’était pas accessible aux tracteurs diésel qui tiraient les bateaux à cause d’un marchepied trop étroit pour eux. Il fallait donc recourir aux services d’un loueur de chevaux pour cette traversée. Le convoi prenait son départ vers minuit et une grande partie de la nuit était nécessaire pour ce franchissement. Un charretier se tenait près de chaque cheval avec une lanterne à la main.(2)
Certains tunnels, dépourvus de ces marchepieds, étaient équipés de chaînes qui permettaient aux hommes de haler le bateau en marchant sur le plat bord en tirant sur la chaine.
Les automoteurs pouvaient à l’occasion aider les bateliers.
François Berenwanger raconte son passage aux tunnels de Savoyeux et de Saint-Albin.

"A l’apparition des automoteurs, il nous arrivait d’attendre une heure ou deux pour nous faire remorquer, surtout si c’était l’heure de donner l’avoine aux chevaux qui, bien entendu, passaient par dessus le tunnel et n’étaient pas rembarqués"
(2)


Mais, à ces endroits, les toueurs se sont souvent chargés du travail.
Le toueur Charleroi de la Société Générale de Touage et de Remorquage. La chaîne sur laquelle se hale le bateau est bien visible à l’extrémité du toueur . Image issue du blog La Batellerie.
Un toueur est un bateau qui se déplace en se halant sur un câble amarré à la rive ou sur une chaîne posée au fond de l’eau.
http://www.dubato.fr/le-touage
Des services de touage furent mis en place sur le Rhin, le Rhône, la Seine...
Sur ce dernier fleuve, la chaîne noyée mesurait 226 km entre Conflans-Sainte-Honorine et Le Trait en aval de Rouen.
Le Rougaillou. Document du musée du touage.
Au tunnel de Riqueval, dans l’Aisne, des chevaux ont actionné un toueur. Celui-ci s’appelait le Rougaillou. De quatre à huit chevaux selon les évolutions de la machine tournaient sur un manège monté sur la plateforme du toueur. Ce manège actionnait un treuil qui enroulait un câble fixé de loin en loin à des crochets pris dans la maçonnerie du tunnel. Ce système à câbles sera remplacé par un touage sur chaîne noyée. Le Rougaillou restera en fonction jusque en 1874.
D’autres systèmes mécaniques se sont substitués aux chevaux dans les tunnels, mais cela nous entrainerait loin des équidés.

Les ponts.

Les ponts se présentaient eux aussi comme des obstacles à franchir.
Pour ceux qui l’utilisait, il fallait abaisser le grand mât ce qui n’était pas une mince affaire.
Le fait que le chemin de halage ne passait pas toujours sous le pont accroissait les difficultés.
Il fallait alors lâcher le tirage, le bateau continuant sa route sur son erre, et le récupérer après la passage du pont.
Canal du Loing à Nemours. Pont St Pierre.Image issue du blog de Daniel Debeaume.
L’aménagement des chemins de halage sous les ponts améliorera le travail des mariniers et des charretiers.
François Berenwanger décrit le passage d’un pont en rivière.

"Imaginez les manœuvres au passage d’un pont : tous ces cordages à relâcher, le mât à abaisser... Les chevaux étaient stimulés pour garder la tension du cordage et éviter l’accrochage des herbiers ou des branches. Le passage difficile franchi, on arrêtait les chevaux à un endroit propice, le marinier raccourcissait la maillette*** avec l’aide de son épouse et du pilote à la longueur voulue. Cette manœuvre délicate se faisait avec attention et célérité de la part des mariniers et du charretier, en plusieurs étapes quelques fois si le courant était important et il fallait que le charretier reparte au trot avec ses chevaux et s’arrête à nouveau pour raccourcir le cordage."(2)


Comme on le voit ce n’était pas une partie de plaisir.

Les écluses.

Un dernier ouvrage présente une difficulté majeure pour les chevaux de halage, il s’agit de l’écluse. L’écluse est en somme une marche qui rattrape des différences de niveau sur le canal ou la rivière. Plus encore que les ouvrages précédents, les écluses vont être des points de ralentissement de la navigation.
Là encore, le passage des écluses va engendrer des frictions entre bateliers.
Le passage de l’écluse se faisait dans l’ordre d’arrivée des bateaux.
Les bateaux dits "accélérés"***** avaient la priorité sur les autres.
Des files d’attente pouvaient se former aux abords de ces ouvrages sur les canaux les plus fréquentés.
De nouveau, bateliers et chevaux allaient devoir se confronter à l’effet piston.
En entrant dans le sas, le bateau pousse devant lui une certaine masse d’eau. Cette eau doit s’écouler hors du sas de l’écluse.
Or, il y a peu de place de chaque côté des bateaux pour permettre l’écoulement de la masse de liquide qui se situe à l’étrave.
La vitesse est l’ennemie des manœuvres d’écluse et les bateaux vont donc y accéder à allure réduite.
A vide, le bateau peut, avec des acteurs habiles et sous certaines conditions, rentrer sur son erre.
En charge, les chevaux vont devoir faire pénétrer le bateau dans le sas en le halant.
Voyons ce qu’en disait Léon Lepetit-Blois

."Le bateau pénétrait dans chaque écluse comme un bouchon un peu lâche dans un goulot de bouteille, avançant centimètre par centimètre, les chevaux luttant de tout leur poids contre la compression d’une eau prisonnière du sas, qui ne pouvait s’évacuer assez vite dans le peu de place libre entre les "bordailles" et les" masses".(3)


A ce moment on peut raisonnablement supposer, bien que les mesures manquent, que le travail des chevaux était intense.
Dix minutes étaient nécessaires à une courbe de deux chevaux pour faire pénétrer complètement un bateau dans une écluse de gabarit Freycinet.(3)
Ensuite, les manœuvres nécessaires étant accomplies, bateliers et chevaux pouvaient prendre un moment de repos.
Pour les bateliers, c’était le moment de boire un verre. De là vient l’expression "en écluser un".
La pose pendant la bassinée.Image issue du blog de Daniel Debeaume.
Les chevaux se reposaient pendant la bassinée******, mais difficile de faire le rapport entre l’effort déployé pour entrer le bateau et le repos octroyé.
Le temps de passage d’une écluse avoisinait la demi-heure.
La sortie, était à peine moins problématique. Là aussi il fallait sortir lentement, même si l’eau devant était libre.
Document issu du site Atelier La Douve aux Loups 44.
Sur cette photo, on peut distinguer un léger renflement d’eau devant le bateau. L’on voit bien la faible distance entre les "bordailles" et la maçonnerie. Le tirage est fixé au boulard avant droit. Au fond, l’homme à la barre veille. Les autres sont tranquilles. La routine en somme. Le sol en pavés n’est pas de nature à améliorer la traction des deux chevaux.
Un autre problème pouvait se poser au moment de pénétrer dans une écluse. Un pont pouvait se trouver sur la tête aval de l’écluse. Interdiction était faite aux charretiers de faire passer le tirage en travers de la route. Une contravention était dressée en cas de non respect de l’interdiction.
Poulie de retour (marquée d’une flèche rouge) et pont en aval à l’écluse de Moussey. Document Guillaume Kiffer.
La poulie de retour était alors la solution pour faire entrer le bateau dans le sas de l’écluse tout en satisfaisant au règlement. Cette grosse poulie était située au niveau du sol et au droit de la porte aval.
Fonctionnement de la poulie de retour. Halage et traction. Souvenir d’un batelier. François Berenwanger © Collection Association des Amis du Musée de la Batellerie.
Le tirage était passé dedans et les chevaux repartaient en sens inverse entrainant la bateau dans le sas.
Retrouvez les photos et quelques autres dans le portfolio.
*Trémater signifie doubler un autre bateau. Cependant, certains mariniers l’employaient aussi pour qualifier le croisement de bateaux.
**Au temps de la traction animale il n’y avait pas de bâbord et de tribord sur les canaux. La situation se décrivait selon la position du chemin de halage. La rive équipée de ce chemin était appelée "avaterre", la rive opposée "bord-hors". Sur le Rhône les rives étaient désignées par "Empi ou Emperi " pour la rive gauche et "Riaume" pour la rive droite, rappelant ainsi qu’un côté appartint jadis à l’Empire romain germanique et l’autre au royaume de France. sue la Loire, les bateliers employaient le terme " Galarne " pour désigner la rive droite et " Mar " pour la rive gauche.
***Maillette : Cordage léger et très solide employé en rivière pour naviguer loin du bord.
****Débiller : décrocher le tirage du système de traction du bateau.
*****Accéléré : nom donné à certains bateaux qui, en raison de la nature périssable de leur chargement, avaient priorité de passage et de trématage tout au long de leur voyage. Définition de Léon Lepetit-Blois (3).
******Une bassinée est le volume d’eau lâché par une écluse lors de son fonctionnement. Ce lâché crée un léger courant qui pouvait influer sur la marche des bateaux à traction animale. Qualifie aussi le passage d’un bateau dans l’écluse.
(1) Archives de la Chambre de Commerce de Lille. Lille- Typographie de L. Daniel Grand’Place- 1854.
(2) Halage et traction. Souvenirs d’un batelier. François Bernwanger. Les cahiers de la batellerie. N°30- Mai 1993
(3) La batellerie d’autrefois. Léon Lepetit-Blois. Imprimerie du Moulin. 1991.
La vignette " Sortie d’un bateau" est l’œuvre de Claude Delcoy
Un certain nombre de textes et d’illustrations sont reproduits ici avec le consentement de leurs auteurs ou propriétaires. Merci de ne pas les utiliser sans autorisation.
A suivre.
Cet article a été rédigé avec la collaboration de Guillaume Kiffer.

Portfolio

  • 01 . Canal de St Quentin.
  • 02 . Haut-lève.
  • 03 . Halage sur le pont-canal à Agen.
  • 04 . Tunnel de Liverdun.
  • 05 . Le Rougaillou.
  • 06 . Passage de pont.
  • 07 . Passage sous le pont.
  • 08 . La pause.
  • 09 . Passage d'écluse.
  • 10 . Poulie de retour.
  • 11 Palonnier.
  • 12 . Détail du système.
  • 13 . Sortie d'un bateau.
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